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Flexicurité:écran de fumée 2007

Revue de presse

 

La « flexicurité » à la danoise, un écran de fumée?

Travail . Un Livre vert de la Commission propose de faciliter licenciements et contrats précaires au nom de la modernisation et de la mondialisation. La riposte politique et syndicale s’organise.

 

Strasbourg (Bas-Rhin), envoyé spécial.

Les pays de l’Union européenne (UE) sont-ils à la veille d’un nouveau bouleversement de leurs marchés du travail ? La livraison par la Commission, fin novembre, d’un Livre vert affichant l’objectif de « Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXIe siècle » suscite l’inquiétude dans les milieux politiques et syndicaux. Mercredi au Parlement européen, une cinquantaine d’eurodéputés et de syndicalistes venus de toute l’UE ont répondu à l’invitation du groupe GUE-GVN pour décrypter les propositions de la Commission et tenter de peser sur ses prochaines initiatives législatives.

Le système danois montré en exemple de réussite

La parution d’un Livre vert est la première étape du travail législatif, celle qui vise à « lancer le débat » sous forme d’une consultation publique, qui prendra fin en mars. Mais l’on sait déjà que la Commission transmettra en décembre aux chefs d’État et de gouvernement une série de « principes communs » visant à « faciliter » l’adoption de réformes. Une directive pourrait ensuite voir le jour.

L’objectif officiel du Livre vert est de « moderniser » le droit du travail, pour « concilier une flexibilité accrue avec la nécessité d’offrir à tous le maximum de sécurité ». Dressant le constat d’une montée en flèche des contrats dits « atypiques » (CDD, temps partiel, travail parasubordonné) ces deux dernières – décennies, la Commission conclut que « le modèle traditionnel de la relation de travail (le CDI, essentiellement) peut ne pas être adapté » à la nouvelle donne de la mondialisation. Et qu’il convient dès lors d’envisager « d’autres modèles de relations contractuelles » pour renforcer « l’avantage concurrentiel » des entreprises. La Commission va jusqu’à assurer que l’abandon des « clauses trop protectrices » du CDI pourrait « développer la créativité » des travailleurs en les encourageant à changer d’emplois.

Le modèle prôné par Bruxelles, c’est celui du Danemark, qui combinerait une « protection « allégée » de l’emploi (…), un investissement considérable dans la formation et des allocations chômage généreuses assorties de conditions strictes ». C’est cette fameuse « flexicurité » à la danoise, par ailleurs vantée par différents acteurs du débat – politique français du PS à l’UMP, que le Livre vert propose d’étendre à toute l’UE. La Commission préconise plus précisément un assouplissement des règles de licenciement ainsi que la mise en place d’un « socle de droits » minimaux en matière de droit du travail et de protection sociale.

Pour les syndicalistes présents, mercredi à Strasbourg, cette « flexicurité » ressemble à un jeu de dupes. « Ce que – propose le Livre vert, nous l’avons expérimenté douloureusement ces dernières années en Italie, dit Pierluigi Alleva, juriste au sein de la CGIL. La loi 30, notamment, a créé plusieurs formes de contrats « atypiques » : travail à la commande, contrat de projet… Aucun travailleur n’a tiré avantage de ces nouvelles formes de travail. Le contrat de projet (qui dure tant que l’employeur estime avoir besoin du travailleur sur une mission et peut être rompu à tout instant) est moins bien payé, n’offre pas de couverture sociale suffisante, isole les travailleurs qui ne sont plus encadrés par les syndicats. En d’autres termes, l’employeur a les mains libres. »

Le licenciement comme outil de compétitivité

L’autre mesure phare pour flexibiliser le marché du travail, la facilitation du licenciement, ne convainc pas plus. « En Allemagne, l’assouplissement de la législation sur le licenciement (dans le cadre des lois Harz) n’a pas aidé la création de nouveaux emplois, ce que relève l’OCDE, pointe Katharina Erdmenger, de la centrale DGB. Quand un employeur embauche, ce n’est pas pour jeter son salarié quelques mois plus tard, mais pour utiliser ses compétences sur le long terme, le former, bénéficier de son expérience », insiste la syndicaliste en invitant les syndicats et la gauche à adopter cet angle d’attaque dans les discussions avec la Commission. Paul van Den Boom, de la FNV néerlandaise, pense aussi qu’il faut prouver que, si elle offre un avantage de court terme, la flexibilité menace le développement des entreprises : « La loyauté des employés est moins grande, et il ne sert plus d’investir dans la formation continue. »

une note sociale moins salée pour les entreprises

Le volet « sécurité » des propositions du Livre vert laisse les syndicats tout aussi sceptiques. Marie-France Boutrue, de la CGT, pose « le problème du financement de la sécurisation des parcours professionnels » en compensation de la flexibilité : « Il faut une participation des employeurs et des actionnaires », insiste la Française. En Italie, les assurances prévues pour aider les travailleurs « atypiques » en période de chômage n’ont jamais vu le jour, et « ce sont les municipalités et l’État qui sont censés prendre le relais », rapporte Pierluigi Alleva. Au bénéfice des entreprises qui n’ont plus à payer les indemnités de licenciement et de précarité.

Plutôt qu’une « flexicurité » qui fragiliserait encore plus le monde du travail, les participants du débat à Strasbourg ont ébauché des pistes alternatives. « Le CDI doit rester et redevenir la norme de l’emploi », insiste ainsi Roberto Musacchio au nom de la GUE-GNV. Jean-François Tamellini (FGTB, Belgique) propose de « lier les réductions de charges sociales et fiscales aux résultats en termes de création d’emplois », tout en maintenant le champ de la flexibilité « dans le cadre de la négociation collective ». Enfin, Alain Obadia, membre du comité économique et social français et économiste du PCF, préconise d’offrir une « garantie de revenu » à toute personne se trouvant « soit en situation d’emploi, soit en situation de formation choisie ». Cette sécurité d’emploi ou de formation est la seule véritable alternative, selon lui, à la « société de précarité » qui s’étend en Europe.

Paul Falzon

L’Humanité du 19 janvier 2007

 



02/11/2011
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