Rencontre avec Francken: quelles perspectives pour les sans-papiers?
A la demande de la Voix des Sans Papiers et de Together for Dignity, nous avons rencontré le très controversé Secrétaire d’Etat à l’immigration Francken lors de la journée internationale des droits des migrants ce 18 décembre.
Je n’attendais rien de cette rencontre. J’y allais même, je dois l’avouer, avec les pieds de plomb.
Mais il était important dans le contexte actuel de répéter aux autorités que les deux principales organisations syndicales de ce pays sont aux côtés des travailleurs sans papiers et soutiennent et restent impliquées dans leur combat.
Quelques mots tout de même de l’entrevue, qui devait durer à la base 15 minutes, mais qui aura finalement duré plus d’une heure.
Durant la première demi-heure, après avoir écouté nos demandes, le Secrétaire d’Etat s’est justifié sur le fait qu’il n’était pas raciste. Revenant sur ses déclarations sur la « plus-value » de certaines nationalités, qui ont été sorties de leur contexte selon lui. Il reconnait que ce n’était pas malin de viser des nationalités en particulier, mais il s’en est excusé. Il ajoute que ceux qui doutent de sa sincérité ont surement un intérêt politique pour le faire…
Il relativise ensuite son expression de « ptits cons de marocains » en précisant qu’ils aurait pu dire çà de n’importe qui, que c’était dans le contexte. Il ne nous épargne rien, en allant jusqu’à reparler de la bière « Zwarte Piet », quasi prêt à nous expliquer la technique de cuisson du verre qui justifie sa couleur noire, qui « reste noire même quand on la vide »…
En résumé, le Secrétaire d’Etat veut nous rassurer sur le fait qu’il n’est pas raciste et nous demande d’arrêter avec les apriori. Il nous dit que toutes ces attaques injustes lui font mal.
D’ailleurs il est même venu avec un conseiller noir (ndlr)…
Après ses explications « sur la forme », il attaque le fond. Il nous parle géopolitique. Il évoque la vision du gouvernement en matière de migration qui devra se concentrer sur l’économique. D’où la notion de plus-value… Les débats sont entamés dans ce sens depuis plus de 15 ans en Flandre. Sur le modèle des pays Scandinaves ou des USA, Canada ou encore Australie. Les francophones ont beaucoup de retard en la matière, qu’il convient selon lui de rattraper.
Sur les 5 canaux principaux qu’il estime liés au dossier de la migration, à savoir le regroupement familial, l’asile, la régularisation, les étudiants et le travail, il constate que la proportion de dossiers traités en Belgique se répartit en 20% de dossiers concernant les études et le travail contre 80% de dossiers relatifs aux régularisations, asile et au regroupement familial. Exactement l’inverse de la proportion des dossiers de migration aux USA.
Les USA, le modèle du Secrétaire d’Etat pour la migration… « I can’t breathe » (ndlr)
Le gouvernement doit donc selon lui mettre tout le focus sur la migration économique.
Face à nos questions partant de cas concrets de migrants en lourdes difficultés, dans des situations terribles sur le plan humain, dans un no man’s land depuis plusieurs années, le Secrétaire d’Etat nous indique que l’accord prévoit une prise en compte plus poussée pour les personnes les plus vulnérables. Sans nous en donner la définition.
Par contre, il enchaîne tout de suite en précisant qu’il sera beaucoup plus dur pour ceux qui commettent des délits.
Un de ses conseillers précisera plus tard dans la conversation que de toute façon, toute personne sans papiers est illégale. Il nous citera l’article de loi précis (Article 75 de la loi de 1980 et une circulaire de 2002).
En ce qui concerne nos revendications de régularisation collective, la réponse est claire. Hors de question ! Il semble mettre de côté ceux qui seraient en danger en cas de rapatriement dans leurs pays d’origine. J’embraye tout de suite en revenant sur le dossier des afghans et en réclamant dès lors qu’on puisse traiter le cas de nos Camarades afghans. Je lui rappelle que le gouvernement précédent a renvoyé chez lui un jeune afghan de 22 ans (Aref) qui s’est fait assassiner à son retour. Il dit ne pas être au courant…
Mais il enchaîne en précisant plusieurs fois, en regardant fixement mon foulard rouge, que les socialistes dans le gouvernement précédent n’ont pas mené d’autre politique en matière de migration que celle que ce gouvernement défend.
A ma question sur les centres fermés et sur les enfants, il répond que la Belgique a été condamnée parce qu’elle n’avait pas de centres fermés adaptés aux familles avec enfants, et qu’il allait faire le nécessaire pour adapter cela. Il confirme donc qu’on enfermera les enfants avec leurs parents dans ces prisons. Il ajoute que tous les pays avec des socialistes au gouvernement ont d’ailleurs des centres fermés, toujours en regardant mon foulard rouge…
Je le mets à l’aise en lui affirmant que je dénoncerai les attaques contre les travailleurs sans papiers avec la même vigueur que je ne l’ai fait sous l’ancienne législature. Je lui dis également que s’il souhaite en finir avec les apriori, il ferait bien de commencer à arrêter de croire que la FGTB est le PS ou son bras armé !
Je lui dis que s’il souhaite parler géopolitique, on peut discuter du rôle des multinationales qui exploitent les travailleurs au Congo, au Niger ou ailleurs, qui les forcent à devoir émigrer en les empêchant d’exploiter leurs propres richesses, et qui, lorsqu’ils se retrouvent ici, se retrouvent en centres fermés.
Je lui dis que plutôt que de miser sur l’exclusion, on serait bien plus inspiré de viser l’intégration en réfléchissant par exemple à comment résoudre ensemble le problème du financement des pensions à travers la création d’emplois pour tous ceux qui sont ici…
A l’interpellation de la représentante du Ciré sur la liberté de circulation, le Secrétaire d’Etat se lancera dans une tirade sur la nécessité, si nous souhaitions ouvrir les frontières, de restreindre alors l’accès à la sécurité sociale, toujours selon le modèle yankee. Que si nous souhaitions une sécurité sociale plus ouverte, il fallait fermer les frontières…
Plus interpellant encore, la réponse du Secrétaire d’Etat sur la nécessité de critères de régularisations clairs pour les sans-papiers. Si le Secrétaire d’Etat évoque clairement sa volonté de sortir un nouveau code de la migration, il exclut toute référence aux critères dans une loi. Selon lui, le critère des enfants pour la régularisation ferait appel d’air et « pousserait les migrants à faire beaucoup d’enfants »…
Une chose est claire : sans grande surprise, les discussions en matière de migrations seront très difficiles sous ce gouvernement. Nos revendications générales n’ont selon moi aucune chance d’aboutir. Seules quelques régularisations au cas par cas, en dehors d’Uccle évidemment, seront envisageables.
L’heure est à la résistance. L’heure est à créer un large front anti austéritaire où nous devrons préparer ensemble, avec la société civile, dans un vaste mouvement citoyen au sein duquel les collectifs des sans-papiers ont leur place à part entière, nos revendications pour un nouveau gouvernement. Un gouvernement qui placera l’être humain au centre de la société, et qui ne le considèrera plus comme une variable d’ajustement ou comme un simple outil qu’on peut enfermer dans un coffre ou jeter au gré du vent…
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