Alternative(s)

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Gérer l'urgence... puis réinventer l'avenir

Plans d’étalement des cotisations sociales sur 2 ans sans intérêts. Facilités de remboursements bancaires. Primes de 4.000 ou 5.000€ pour chaque entreprise fermée. Allocation de 1.200 à 1.600€ par mois pour chaque indépendant touché. Task force économique pour protéger les entreprises et le secteur financier… Quand il s’agit de tendre la main au monde économique, il n’y a pas à dire, nos dirigeants politiques sont au top. Pas question de bagarre institutionnelle pour cela. Un claquement de doigts, un clic et c’est réglé…

Et tant mieux ! Au risque d’en choquer certain.es (qui ne me liront pas jusqu’au bout), il faut prendre des décisions pour sauvegarder nos entreprises.

 

Mais dans l’ordre des priorités, quand on lit que l’hôpital saint Pierre de Bruxelles lance un appel à solidarité pour pouvoir acheter des respirateurs afin de venir en aide aux patients atteints ; que des services d’urgence vont peut-être en arriver à devoir choisir les patients qu’ils traiteront et ceux qu’ils devront laisser de côté ; que des personnes sont laissées purement et simplement sans aide médicale d’urgence ; alors on se rend compte qu’il y a un sérieux problème. En se remémorant au passage les coupes opérées dans les soins de santé par l’actuelle ministre de tutelle.

 

Par ailleurs, quand on regarde les mesures dégagées pour les travailleur.euses à ce stade, force est de constater que la répartition est pour le moins déséquilibrée.

Parce que s’il faut protéger nos entreprises, cela n’a de sens que si les travailleur.euses et les allocataires sociaux sont également préservés. Sinon, quel intérêt ?

 

Et c’est là qu’il faut se méfier des grands discours d’union nationale dont on nous abreuve ces derniers jours. Des responsables politiques qui deviennent subitement des femmes et des hommes d’Etat défendant l’intérêt de toutes et tous. Finis les intérêts corporatistes ? Oubliés les petits jeux politiques ?

Ok, mais alors il va falloir le prouver ! Parce que l’histoire nous démontre que ce sont toujours les mêmes qui en bout de course, au nom de l’intérêt national, se font arnaquer. Et les enjeux aujourd’hui dépassent tout ce que nous avions pu imaginer !

 

Le Voka, la fédération des entreprises flamandes (qui parle à l’oreille de la NVA), estimait dans un communiqué que le coût de la crise du Coronavirus s’élèverait à 16 milliards€ pour l’économie belge (tiens, là aussi on ne parle plus d’institutionnel). Exigeant d’autres mesures pour aider les entreprises.

 

16 milliards€, c’est effectivement très lourd. Mais les travailleur.euses et les allocataires sociaux ne le savent que trop bien ! Si on compare en effet la façon dont sont réparties les richesses (PIB) en Belgique entre le travail et le capital, en 40 ans, la part revenant aux travailleur.euses a diminué de 6%, au profit des actionnaires. Cela représente exactement 16 milliards€ qui, tous les ans, passent des poches des travailleur.euses vers celles des actionnaires.

 

Ces 16 milliards devraient pourtant revenir aux travailleur.euses et aux allocataires sociaux. C’est ce qui était prévu explicitement dans le pacte social négocié après le seconde guerre mondiale pour reconstruire le pays. Au nom de l’union nationale. Dans l’intérêt général.

 

Un pacte qui prévoyait une juste répartition des richesses entre travailleur.euses et entreprises. Un pacte qui garantissait notamment le financement de notre sécurité sociale. Socialement essentiel pour que personne ne se retrouve sur le bord de la route. Economiquement fondamental pour que les travailleur.euses puissent faire tourner les entreprises. Un juste équilibre entre intérêts économiques et valeurs sociales.

 

Et puis, au fil du temps, le pacte s’est effiloché. A coups d’idéologie libérale, depuis la fin des années 70, les gouvernements successifs ont tenté de faire croire que ce n’étaient pas les travailleur.euses qui créaient la richesse. Mais le capital. Justifiant selon eux ce transfert des travailleur.euses vers les actionnaires.

La part de financement de la sécurité sociale incombant aux patrons s’est ainsi réduite. Un peu plus d’années en années. Au nom de la compétitivité. Creusant les inégalités. Coupant notamment dans les pensions et dans les soins de santé.

 

La part de financement des services publics incombant aux grandes sociétés s’est également effritée. A coups de privatisations. Accaparant des moyens qui auraient dû profiter à la collectivité pour augmenter les dividendes d’actionnaires jamais rassasiés.

 

Et au moment où tous les projecteurs étaient braqués sur le coronavirus, une étude impulsée par la BNB venait confirmer, en catimini, que les salaires des travailleur.euses avaient été grugés depuis des années. A cause d’une loi injuste et biaisée qui finissait d’achever le pacte social de 1944.

 

La crise mondiale que nous connaissons aujourd’hui démontre à quel point l’économie est dépendante des travailleur.euses (et des consommateur.trices). Sans nous, l’économie ne tourne pas. Raison pour laquelle les organes les plus ultralibéraux de la planète proposent subitement de sortir de leurs satanées règles budgétaires. Débloquant des milliards pour garantir les emprunts publics et privés. Parce qu’ils savent que sans les travailleur.euses, sans les consommateur.trices que nous sommes, leur système s’effondre !

 

Une fameuse piqure de rappel pour les syndicats également. Quand les travailleur.euses s’arrêtent, tout s’arrête ! Et le rapport de force s’inverse…

 

Alors aujourd’hui, nous devons clairement gérer l’urgence. Elle est médicale et sanitaire en première instance. Nous devons redonner les moyens à nos blouses blanches de sauver nos vies. Elles nous avaient pourtant prévenus il y a peu.

 

Mais nous devons aussi gérer l’urgence sociale en nous assurant qu’aucun travailleur.euse ni allocataire social, ni aucune autre personne avec ou sans papiers, ne fassent les frais de la crise. Soyons clairs entre nous : le chômage économique ou de force majeure ne sera pas suffisant. Nous devons recevoir des facilités pour nos emprunts. Publics et privés. Les banques nous doivent bien çà ! Et surtout, hors de question que les moyens dégagés pour sortir de la crise ne soient payés par les travailleur.euses ou les allocataires sociaux. Nous devons obtenir des garanties dès aujourd’hui que notre sécurité sociale, nos services publics et nos salaires n’épongeront pas l’ardoise. A ceux qui s’en sont mis plein les poches toutes ces années de payer leur dû !

 

Si la volonté de nos dirigeants politiques est de nous proposer un pacte qui équilibre les enjeux sociaux, économiques et climatiques, pas de problème pour se mettre autour de la table. Un pacte qui recrée des bases pour repartir autrement. Plus sainement. Plus en lien avec la nature et le bien-être des gens.

Rien qu’en termes de mobilité, le confinement de ces premiers jours nous démontre qu’il est possible d’organiser la plupart des réunions par téléconférence, limitant le trafic automobile, décongestionnant les autoroutes, diminuant les émissions de CO2. La réduction collective du temps de travail en est le corolaire. Le sens du progrès social qui n’aurait jamais dû être arrêté. Afin de s’attaquer une fois pour toutes aux discriminations de genre, lorsque 80% des emplois à temps partiels sont occupés par des femmes, mécaniquement moins bien payées. Quant aux circuits courts de production et de consommation, l’épisode insensé des masques de protection impossibles à trouver ou du gel désinfectant impossible à produire plaide à nouveau pour un modèle à totalement réinventer.

 

A vrai dire, cela fait des mois que nous discutons des principes d’un tel pacte avec les employeurs. Un pacte autour du concept de développement économique inclusif et durable… sans aboutir à rien. Les employeurs n’ayant qu’un seul mantra à la bouche : Croissance, croissance, profits…

 

Alors si nos dirigeants politiques sont réellement prêts à se mettre au-dessus de la mêlée pour redéfinir un autre modèle de société, où l’humain reprendra sa juste place, qu’ils le disent et posent des actes concrets. Nous répondrons présents.

 

Si l’intention par contre, sous couvert d’union nationale, est de nous ressortir leurs réformes structurelles à sens unique à la sortie de la crise, au détriment du social, en continuant à détruire notre planète, il faudra y réfléchir à deux fois avant de reprendre le boulot et de refaire tourner leurs entreprises…

 

A l’heure où la terre tremble et où la fragilité du genre humain n’a jamais été aussi criante, ce n’est pas d’un plan de relance pour réamorcer notre course folle dont nous avons besoin. Mais d’un plan tourné vers un futur où l’humain et la nature retrouveront leur juste place. Un plan pour réinventer et redonner un sens au progrès humain.

 

Jean-François Tamellini,

Secrétaire fédéral FGTB

(Frameries, 19/03/20)

 

 



20/03/2020
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